La Mort

Les festivités de la Toussaint au Mexique m’ont donné l’opportunité de parler de la mort, un sujet encore tabou en France. Nous ne parlons pas de nos morts, ils sont enterrés, ils donnent du substrat à certains arbres ou leurs cendres sont dispersées au gré du vent. Nous nous rappelons d’eux avec de la tristesse, du chamboulement, de la douleur et grâce au temps qui passe, avec nostalgie.

Nous ne parlons encore moins de la mort. Un sujet à éviter au possible et pourtant… la mort fait partie de la vie. Nous naissons et nous mourrons.

J’en parlais, il y a peu, à ma famille. Les cérémonies qui ponctuent notre chemin comme les naissances, les baptêmes, les mariages et les funérailles existent surtout pour nous rappeler que nous sommes en vie. C’est quelque part une nécessité.

Je me souviens de mes cours de philosophie sur la mort. À 18 ans, c’est un magnifique sujet de réflexion. À cet âge, nous pouvons enfin commencer à voir la mort en face ; ce qui nous donne une part active dans cette expérience sans seulement la subir.

La mort m’a toujours fascinée… Le mystère qui entoure la mort. Qu’y a t-il après ? Où allons-nous? Qu’y faisons-nous? Retrouvons-nous nos proches déjà partis ? Sujet qui a levé beaucoup de questions depuis que l’Homme existe.

Curieusement encore tabou en France, nous n’en parlons pas beaucoup plus en Espagne... D’autres pays comme les États Unis, l’Angleterre et bien d’autres, en parlent pourtant librement. Qui n’est pas curieux de savoir ce qu’il se passe après ? Bercés par les croyances limitantes dont nous a abreuvé le catholicisme comme “il n’y a rien après la mort”, nous sommes restés bloqués au Moyen Âge. Grâce à la diffusion de l’information, une très grande majorité d’entre nous a entendu parler de l’après mort dans d’autres religions. La réincarnation spirituelle et corporelle existe chez les bouddhistes, les hindouistes et chez les musulmans. Je suis désolée de ne pas parler des autres religions car je ne les connais pas.

D’autres informations sur la mort ont émergé depuis quelques temps, comme des documentaires sur des personnes ayant expérimenté les NDE (near death experience ou expérience de mort imminente). Beaucoup d’entre nous ont survécu à la mort et ont expérimenté des choses inconnues, et ce, depuis longtemps. La plupart d’entre eux n’osaient en parler, de peur d’être pris pour des fous et d’être enfermés. Après une plus large diffusion de ce sujet brûlant et surtout validé par le monde médical, les langues ont commencé à se délier de plus en plus. Chirurgiens, anesthésistes et médecins ont vu et validé de manière factuelle des dizaines de patients ayant expérimenté des NDE.

Les morts ont une place bien concrète dans la vie des Mexicains et le jour de la Toussaint mais aussi le 2 novembre est une fête, une grande fête pour leur commémoration. Comme expliqué dans le blog sur San Cristóbal de las casas, la fête des morts commence bien avant. Dès mi-octobre, à mon arrivée, j’ai vu des décorations de toutes les couleurs, des drapeaux, des squelettes et des bougies. L’autel se prépare religieusement, quelques jours avant le 1er novembre. Chez les Mexicains, la Toussaint est le moment de communication et de réunion avec nos proches disparus. Tous les ans, cette fête s’organise afin d’éviter qu’ils disparaissent totalement dans l’oubli.

Il se dit au Mexique, et je l’ai également entendu ailleurs, que le voile entre le monde des vivants et des morts diminue au point de presque s’effacer et qui ainsi facilite nos retrouvailles.

Lorsque je suis arrivée à San Cristóbal le 31 octobre, après avoir laissé mon sac à l’auberge, je suis partie faire un tour dans le centre car il y avait tout un rassemblement festif et musical. Je vois une parade, des jeunes déguisées en Catrina, une femme au visage de cadavre avec une robe de fin du 19ème, un jeune déguisé en squelette, lui aussi, brandissant au ciel à l’aide de cannes, un énorme squelette. Derrière eux, défilent une trentaine de tambours et caissons à un rythme effréné. Il y a foule derrière et sur les côtés et je suis happée par cette marée humaine. Je dois dire que je suis sincèrement secouée par l’ambiance qui est à la fois festive et grave. L’énergie est très forte et lumineuse, j’ai besoin d’être seule pour digérer. Une sorte de bienvenue à San Cris!

L’autel, nous a expliqué une des personnes travaillant dans l’auberge, s’élabore comme un rituel, afin que nos défunts puissent trouver leur chemin vers nous. Les autels sont partout, maisons, hôtels, restaurants. Les fleurs de Cempasúchil, omniprésentes, ont une magnifique couleur orange qui rappelle la vie. Un lit de pétales de ces mêmes fleurs est disposé au sol avec de chaque côté une ligne de bougies qui seront allumées le jour J pour aider les défunts à trouver leur chemin. Certains dessinent une croix épaisse de sel sur les pétales ; malgré tout, la religion catholique reste très présente et sainement intégrée chez les Mexicains. Cette croix est lå pour purifier le chemin. Sur l’autel seront disposés des mets élaborés ou achetés, pain des morts, bonbons, fruits, cigarette, alcool… Tout ce dont raffolaient nos êtres chers car ils viendront partager le repas avec nous. Il y a également les photos que nous disposerons le soir afin de les aider à venir, une sorte d’appel.

Les personnes qui travaillent à l’auberge nous proposent très gentiment de partager l’autel si nous le souhaitons. Nous sommes totalement intégrés dans cette cérémonie. Je cherche des photos et je vais les imprimer chez le photographe du coin. C’est déjà un rapprochement avec mes chers défunts, je continue mes achats pour que nous puissions festoyer ensemble. Le jour de la Toussaint, nous laissons ces offrandes sur l’autel. Nous sommes une dizaine de passants à l’auberge voulant participer. Il y a partout des fleurs, des aliments. Chacun de nous allume une bougie pour montrer le chemin de nos chers disparus. Nous accrochons nos photos dans un silence, une reconnaissance, et un chagrin apaisé car ils sont là, avec nous. Cette sensation est étrange car nous partageons ce recueillement extrêmement intime alors que nous nous connaissons si peu. Nous sommes réunis dans notre perte, qui est en somme le lot de tous. Nous sortons pour nous retrouver avec les autres personnes dans les rues. San Cristobal est magique pour cela ; nous sommes dans l’unité, de nos vies et de nos morts. Je suis maquillée en Catrina ; On se maquille et se déguise en mort au Mexique pour aider nos défunts à nous retrouver car ils ne pas la différence entre les vivants et les morts. Le ton est différent, plus de tristesse mais une liesse palpable, nous sommes tous ensembles.

Le lendemain, on nous propose d’aller au cimetière de Romerillo, et le surlendemain, ce sera la fête au cimetière de Chamula. Comme expliqué sur le blog de San Cris, dès notre arrivée, nous tombons sur une foire avec des manèges, des échoppes et de quoi acheter à manger et à boire devant le cimetière. Les vivants ripaillent avec les morts, à côté de leur tombe, parées des plus belles fleurs de Cempasúchil C’est une vision bien étrange pour nous, Européens. Des mariachis chantent en groupe devant les tombes, des familles entières sont réunies devant un piquenique.

La grande majorité des gens qui vont visiter le cimetière se distinguent des autres Mayas que j’ai rencontrés jusqu’à présents ; j’en ai vu quelques-uns à San Cris. Ce sont des gens de Chamula. Les hommes portent souvent un chapeau de type texan et les femmes portent toutes une jupe noire faite de peau de bouc de des chemisiers très ouvragés et de belle couleurs vives. Les petites filles portent elles aussi une jupe mais d’imitation. Peut-être faut-il passer par une cérémonie spéciale ou alors un certain âge afin de porter une peau de bouc, je ne sais pas. En général plus petits et de teint de peau plus foncé, ils se différencient très nettement des autres Mexicains que j’ai rencontrés jusqu’ici.  De même, leur comportement est distinctif. On ressent très fortement qu’ils appartiennent à un clan exclusif, auquel aucun autre n’a accès. Bien moins ouverts, ils ont leurs rites bien à eux comme par exemple les cérémonies de sacrifice de coq dans les églises. C’est peut-être un clan qui a le moins dérogé aux rites originels Mayas en les ayants intégrés à ceux, plus contemporains de religion catholique… Certains sont quand même plus avenant en ville mais je sens d’entrée qu’il vaut mieux ne pas entamer la conversation.

Je n’irai pas au cimetière de Chamula voir les festivités le surlendemain, ce genre de sacrifice ne m’appelle pas.

Je dois reconnaître qu’avoir vécu la fête des morts au Mexique a été une expérience inoubliable et je continuerai cette pratique tous les ans chez moi car je trouve que c’est une merveilleuse tradition à perpétuer.

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